Nicolas Dufourcq est directeur général de Bpifrance. Il signe un livre très remarqué, « La Désindustrialisation de la France : 1995-2015 ». – Editions  Odile Jacob.- Son constat : « On en était toujours à vouloir chercher le coupable de cette désindustrialisation. C’est en réalité toute la société française qui l’a décidé, sans se le dire. Mais c’est elle qui l’a fait. »

Fort d’une expérience de dix ans à la direction de Bpifrance, Nicolas Dufourcq a rencontré également 47 chefs d’entreprises – Plactic Omnium, Tournus, Essilor, etc.-  et de nombreux anciens ministres (Renaud Dutreil, Jean-Pierre Chevènement…) pour bien argumenter ce livre. Son constat : «Tout commence dans les années 1970 (…)  Le modèle social français pèse de tout son poids sur les entreprises». Les dévaluations ont permis de sauver malgré tout leur compétitivité – la dernière datant de1987.-« C’est la faute à tout le monde (…) On a approché la mondialisation de l’an 2000 (…) de manière naïve, c’est-à-dire qu’on ne s’est pas préparés ».

11% du PIB en France, le double en Allemagne

2,7 millions d’emplois Vs 7,5 millions…

Quelques chiffres en préambule : comme l’a rappelé encore Gilles Attaf sur BFM récemment, la valeur ajoutée industrielle représente 11% du PIB et 2,7 millions d’emplois en France, contre 25% du PIB et 7,5 millions d’emplois en Allemagne. Le repli industriel français a été amorcé au cours des années 1970. Il s’est accéléré entre 1995 et 2015 – période principalement traitée par l’auteur- avant de se stabiliser. En 2020, la France (68 millions d’habitants) compte 5,3 millions d’ouvriers contre 7 millions il y a 40 ans. Ce sont essentiellement des hommes. 40% d’entre eux, soit environ deux millions, travaillent dans l’industrie. Un siècle plus tôt, la France (40 millions d’habitants) recensait six millions d’ouvriers. Ils travaillaient essentiellement dans l’industrie et leur nombre dépassait celui des agriculteurs en activité.

« On s’est convaincu que l’industrie était aliénante ».

Toutes les zones de désindustrialisation ont laissé la place aux extrêmes…

Et Nicolas Dufourcq de présenter ce premier constat sur l’industrie et l’image qu’elle renvoie : « On s’est convaincu que l’industrie était aliénante, que c’était le passé, que c’était Zola. La campagne de communication sur l’industrie est devenue négative. Les parents ont arrêté d’orienter leurs enfants vers l’industrie, les écoles d’ingénieurs ont envoyé leurs élèves dans les cabinets de conseil et dans les banques– Lire à ce sujet l’interview de Carine Guillaud : « on ne m’a jamais parlé de l’industrie à l’Essec« – Résultat, « les patrons de PME sont entrés en dépression dans les années 2000.»  Et de faire ce constat amer : « Toutes les zones désindustrialisées ont laissé la place aux extrêmes, il y a un sentiment d’abandon social. Quand l’industrie n’est plus là, tout disparaît, les services publics. »

Nicolas Dufourcq, dans cet ouvrage très remarqué – ainsi que dans l’interview qu’il a donnée La Tribune- revient sur la période de la désinflation compétitive qui a duré dix ans, entre 1987 et 1997. « Elle avait été très efficace. La France était plus compétitive que l’Allemagne. Mais elle s’est arrêtée. La Banque de France a pris son indépendance à ce moment-là. Les taux d’intérêt ont augmenté, car il fallait tenir le franc fort pour aller vers l’euro, cela a commencé à étrangler les PME. Allant vers l’euro, le monde syndical/socialo/politique, cette bulle qui gère l’Etat providence est devenue keynésienne, avec des politiques d’augmentation de salaires qui ont réduit rapidement la compétitivité de la France. D’autant plus que l’Allemagne commençait sa propre révolution de stabilisation des salaires qui a duré de 1997 jusqu’à 2014, pour absorber la Réunification. L’écart a commencé à se creuser et a duré 19 ans. En Allemagne, les salaires sont restés stables et l’économie à bas coût. La seule solution c’était de baisser les charges sur les bas salaires. Mais il aurait fallu le faire plus tôt. La gauche a lutté pour l’empêcher, car les salaires financent la sécurité sociale. On peut le comprendre. On a fait une première étape de baisse des charges sur les bas salaires et il a fallu attendre le rapport Gallois en 2012 pour la suivante, qui a restauré la compétitivité des entreprises.« 

 « Traiter le dragon de l’amertume française »

Dans ce livre, Nicolas Dufourcq retrace, bien sûr, sur la création de la Bpifrance en  2012 et raconte avec son regard d’expert la révolution industrielle des années 2000. « Les premières années, c’est internet. Les PME meurent, mais on n’en entend pas parler. Tout le monde part à l’étranger. Les grands groupes s’expatrient. On leur demande de quitter la France. » Ils s’installent sur les marchés émergents (Chine, Brésil) et dans les pays à bas coût (Tunisie, Maroc,…). Ils entraînent avec eux, leurs principaux sous-traitants. Arrive alors la crise dite des subprimes en 2008/09. Le secteur automobile, notamment, souffre. « L’ambition est alors de relancer des grandes ETI pour les ancrer en France. Le rapport Gallois en 2012 engendre la naissance de la BPI. « En 2013, la loi créée la BPI, la banque de l’industrie. 60% de nos investissements de fonds propre sont dans l’industrie. (…) Quand je suis arrivé, j’ai dit qu’il « fallait traiter le dragon de l’amertume française. Le rôle d’un banquier c’est de susciter le désir d’investir, d’accompagner, d’encourager.»

La BPI gagne beaucoup d’argent

En 2021, un résultat net de 1,8 milliard d’euros…

Nicolas Dufourcq tire un bilan très positif de l’action menée par la BpiFrance : « On a des outils qui nous donnent des marges de liberté. On est une banque régulée par la banque européenne, comme la BNP. On a les mêmes contraintes, mais on a beaucoup de fonds propres. On peut investir beaucoup. (…) On gagne beaucoup d’argent. Le résultat net de Bpifrance en 2021, c’est 1,8 milliard d’euros. En rendement des capitaux sur le crédit on fait 4%. Vous demanderiez aux grandes banques quels sont leurs rendements, je ne suis pas sûr qu’ils seraient très supérieurs. Sur le capital risque on rend 1,7 fois et en capital développement PME aussi. Donc c’est bon. »

« L’industrie, c’est un contrat social »

Est-il donc encore possible de ré-industrialiser ? La réponse de Nicolas Dufourcq fuse – notamment dans les colonnes de la Tribune- : « Oui,  mais il faut que tout le monde s’y mette. L’industrie c’est un contrat social. Tout le monde est concerné, cela veut dire, vous les médias, les syndicats, l’éducation nationale, les familles, les  écoles d’ingénieurs, l’Etat central, le Parlement… Si tout le monde s’y met, on fait remonter des usines. Le plan de Bpifrance c’est de remonter 100 usines par an. »

Pour Nicolas Dufourcq,  l’industrie n’est plus là même, elle est de plus en plus automatisée et digitalisée. « Il faut donner envie à nos jeunes ingénieurs d’aller dans l’industrie. » 

« Si je peux contribuer par ce livre et par l’action de la BPI à changer l’imaginaire de l’industrie, je serais très heureux. Un possible sera toujours français… »

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