En cette fin d’année 2023, le foncier constitue l’un des freins à notre réindustrialisation. Pourtant, par notre géographie, et notamment notre faible densité, le foncier industriel fut longtemps abondant et peu cher. Il constituait avec l’énergie décarbonée un des atouts potentiels pour notre renaissance industrielle. Dans un monde des raretés[1], nous prenons aujourd’hui conscience, trop tardivement, que cet avantage comparatif est en crise, fragilisé, certes par les réglementations mais surtout par le manque d’anticipation et ses effets sur notre réindustrialisation.

La très forte augmentation du prix du foncier industriel (voir ci-après) témoigne d’une tension sans précédent sur cette ressource et de la possible remise en cause de ce facteur de compétitivité. La mise en œuvre d’une stratégie nationale de mobilisation du foncier industriel est attendue. Renaissance industrielle et sobriété foncière sont des objectifs non seulement conciliables mais atteignables. Ils supposent cependant une vision globale du besoin et une contribution significative de la Nation et de ses entreprises pour concilier ZAN[2]  et réindustrialisation.

Une rareté déjà perceptible dans le prix du foncier industriel 

Avec une moindre densité[3] que nos voisins européens, une moindre surface artificialisée (en pourcentage de la surface totale), la France disposait d’une ressource foncière plus généreuse que nos voisins.

Cette plus grande disponibilité foncière se reflétait dans des prix du foncier industriel, plus bas que chez nos voisins. Ainsi, en 2018, autour de 9 principales aires urbaines[4] de notre pays, le ratio € au m2 de foncier industriel se négociait en moyenne entre 35 € et 350 € du m2, contre 50 à 500€ en Allemagne[5]. Ce positionnement relatif était resté stable, au moins sur la période de 2014 à 2018.

Différentes lois, notamment « biodiversité » (2016) puis « climat & résilience » (2021), fixent désormais des objectifs ambitieux et contraignants en matière de zéro artificialisation nette. Comme l’a révélé une note du Sénat[6], la France se distingue par une approche significativement plus prescriptive que celle de nos voisins européens. « L’inscription dans la loi d’un objectif de réduction de l’artificialisation des sols apparaît comme une exception française ». Parmi les quatre pays étudiés, seules l’Allemagne et l’Italie ont défini un objectif national. Moins de 30 hectares par jour d’ici à 2030, pour la première, et zéro artificialisation nette à la même date pour la seconde. Cependant, ces objectifs ne sont pas juridiquement contraignants. Ils n’ont fait l’objet d’aucune déclinaison ou répartition aux niveaux régional ou local.

La rareté du foncier concerne désormais l’ensemble des régions

Les effets de ces dispositions législatives vont se révéler avec le temps, jusqu’en 2050, année d’application du ZAN dans son entièreté. Pourtant, un triple impact en chaîne en est déjà perceptible : rareté accrue du foncier dont celui à destination industriel, concurrence accrue entre les usages (industrie/logement/commerce/agriculture) et in fine accroissement des prix.

La rareté du foncier concerne désormais l’ensemble des régions. 67 %, c’est le nombre d’intercommunalités qui déclarent avoir refusé des projets d’implantation économique ou subi des déménagements d’entreprises par manque de foncier économique[7]. 71 % des intercommunalités considèrent que le parc d’activité est sous-dimensionné au regard des besoins à court à moyen terme, contre seulement 41 % en 2017.

Face à cette pénurie d’offre foncière, la demande de locaux industriels est dynamique, en lien avec les nombreux projets soutenus par France Relance puis France 2030.  Depuis quelques années, les volumes investis dans l’immobilier industriel connaissent une croissance soutenue, avec un doublement des montants entre 2018 et 2022 : 2,1 milliards d’euros investis en 2022 contre 1 milliard en 2018. L’inflation des prix n’explique qu’une partie de cette hausse. La part de l’industrie dans le total des volumes investis dans l’immobilier d’entreprise est ainsi passée de 3% en 2018 à 8% en 2022[8]

Si la France se distinguait, au départ, par un coût du foncier plus bas que ses concurrents européens, elle connaît aussi l’une des plus fortes augmentations avec +74% sur la période 2018-2022, avec un effort progressif de rattrapage par rapport à l’Allemagne (+50% env.) ou l’Italie (+25% env.) par exemple[9]

Les impacts pour notre Renaissance industrielle

Les besoins de foncier sur la prochaine décennie pour accomplir notre renaissance industrielle sont désormais quantifiés de manière consensuelle . Entre 20.000 et 30.000 ha, selon les différents scénarios de réindustrialisation et les différentes hypothèses de densification de notre outil production (eg. par exemple le nombre m2 par employé dans l’industrie). 

Ces besoins sont relativement modestes au regard des autres besoins de foncier. Notamment du logement et du commerce et s’inscrivent dans la continuité d’un taux faible de l’artificialisation liée aux activités productives, historiquement 4 à 5% de l’ensemble de l’artificialisation. Ils risquent cependant, et justement à cause de leur moindre volume, d’être pris à leurs dépens, dans un étau d’enjeux économiques qui les dépassent, entre logement et commerce.

Néanmoins, l’impact de la raréfaction de ce facteur de production est significatif pour notre réindustrialisation.

D’un point de vue financier, le poste foncier/immobilier représente environne 30% des CAPEX des projets d’investissement « nouvelle usine »[10]. Néanmoins, l’effet direct de la hausse des prix est compensé par une amélioration de la situation bilantielle des entreprises disposant d’un stock de foncier et donc de leur capacité d’investissement. L’un dans l’autre, l’effet « hausse des prix » pénalise les besoins nouveaux de foncier i.e. les nouvelles usines, et au contraire favorise les entreprises déjà installées pour leurs projets de modernisation ou d’extension sur les surfaces existantes, mais dans une moindre mesure[11].

Ensuite, et c’est sans doute l’effet principal pour notre réindustrialisation, l’accroissement des délais que cette raréfaction induit. Recherche du « bon » site, dépollutions le cas échéant ou recherche de compensations (lorsqu’elle aboutit ce qui n’est pas toujours le cas), etc. 

Planifier et sanctuariser notre foncier industriel 

Aussi le premier élément de réponse à l’actuelle situation serait de planifier et de sanctuariser les éléments constitutifs de notre futur foncier industriel, à la hauteur des besoins réels

Aussi pour un besoin foncier lié à la réindustrialisation de 20 000 à 30 000 ha pour la prochaine décennie[12], plusieurs leviers doivent être actionnés et planifiés[13] :

  • Les « friches », estimées entre 90 000 et 170 000 hectares[14] en France, constituent le principal vivier. Selon le rapport du préfet Rollon Mouchel-Blaisot, elles pourraient couvrir près de 45% du besoin, soit à minima 10 000 ha, voire 15 000 ha dans un scénario plus ambitieux de réindustrialisation. Au-delà des superficies, il conviendra aussi de catégoriser et d’établir des priorités dans les réhabilitations de friches, en croisant avec les attentes des territoires (et notamment ceux qui sont en déprise) et les besoins des entreprises : accès aux infrastructures (eau, énergie, etc.), profondeur du bassin d’emploi, desserte en transports, etc.
  • L’artificialisation pourrait représenter 35 à 40% du foncier industriel. Sur la décennie 2011-2020, la France a artificialisé 25.000 ha par an. L’industrie en représentait 4 à 5%, soit moins de la moitié de son poids dans l’économie. Avec un objectif de division par deux de l’artificialisation d’ici à 2030, le volume d’artificialisation prévisible sera de 12.500 ha par an en moyenne. Une quote-part à 6 à 7% permettrait de libérer 8500 ha nécessaires à l’industrie pour la prochaine décennie.
  • La densification pourrait représenter 3500 à 4000 ha. A cette fin, nous proposons un référentiel de densification de l’industrie, éventuellement à décliner par secteur ou typologie d’activités. A titre illustratif, les différentes études utilisent des ratios entre 5 à 10 employés / 1000 m2 couverts. 
  • De même, selon ces mêmes modèles, les besoins de compensation pourraient atteindre 25.000 hectares, trois fois la surface artificialisée dont une partie d’anciennes friches. Si la Loi « industrie verte » va bien dans ce sens, il lui fait encore défaut un objectif quantitatif à la hauteur des enjeux et une trajectoire d’adossement pour constituer un véritable stock de foncier « compensatoire ».
La deuxième orientation serait de confirmer la contribution attendue de la Nation pour concilier réindustrialisation et ZAN.

Si par de tels dispositifs, nous parvenions à stabiliser le prix du foncier industriel « nu » au niveau actuel, il est possible d’évaluer un premier surcoût « zéro artificialisation nette » pour le secteur productif[15].  

Avec un coût moyen de proto-aménagement et d’aménagement de friches à vocation économique de 1,65 M€/ha[16], et un besoin de subventionnement de 30% pour combler les écarts avec le prix de marché, la réhabilitation de 10 000 ha de friches représente un effort additionnel de 5 Mds €. Tandis que la mise en place de compensation qui couterait environ +10% additionnels, représenterait un effort additionnel de l’ordre de 1 Mds€ pour les 25.000 ha repris plus haut. Sous ces hypothèses, à un horizon d’une dizaine d’années, l’investissement supplémentaire pour concilier nos objectifs de « ZAN » et donc de biodiversité et ceux de notre réindustrialisation peuvent être estimés entre 5 et 7 Mds€.

Il n’existe pas d’observation partagée des prix au niveau national et territorial

Enfin la troisième orientation serait de mettre en place une veille publique du prix du foncier industriel et des volumes investis : à date, il n’existe pas d’observation partagée des prix au niveau national et territorial, alors que cette question est l’un des quatre freins de notre réindustrialisation aux côtés de celle de la formation, des formalités (durée des procédures) et du financement. 

Cette veille serait complémentaire à l’effort de datavisualisation de l’offre foncière et à sa géolocalisation, avec l’annonce d’un portail national foncier.

La France ne doit pas brader son atout naturel « foncier ». Face aux conflits d’usages et notamment ceux du logement, laisser le seul marché guider les allocations foncières serait condamner notre réindustrialisation. La zéro artificialisation et la réindustrialisation sont conciliables, à condition de disposer d’une vision à long terme, de se donner les outils pour une planification et une sanctuarisation des ressources à la hauteur des besoins, d’élargir les modalités de compensation, plus restrictives en France que chez nos pairs et enfin d’aborder ce sujet avec du bon sens.

Interview d’Olivier Durif
Interview de Laurent Sabatucci
Interview d’Audrey Brun

[1]  Eau, énergie etc.

[2]  Zéro artificialisation nette, prévu pour 2050, avec un objectif intermédiaire de -50% d’ici 2030

[3]  Habitants au kilomètres carré (2023 – United Nations, World Population prospects) : France : 117,4 ; Allemagne : 239 ; Royaume-Uni 279 ; Belgique 386. Surface artificialisée (en % de la surface du pays – Eurostat, CGDD) : France, 5,4% ; Allemagne 7,4% ; Italie 6,9%.

[4]  Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Nantes, Paris, Strasbourg, Toulouse

[5]  Berlin, Cologne, Dusseldorf, Francfort, Hambourg, Hanovre, Leipzig, Munich, Nuremberg, Rhein-Neckar, Stuttgart

[6]  Sénat, Les politiques de réduction de l’artificialisation, septembre 2023

[7] Intercommunalités de France, le Cerema et la Délégation Territoires d’industrie, Le foncier économique à l’heure de la sobriété foncière, 2023

[8]  Observatoire JLL-Europe

[9]  Observatoire JLL-Europe, calcul des auteurs

[10]  Moyenne relevée dans le cadre du dispositif Rebond industriel – Territoires d’industrie

[11]  Fougère Denis, Lecat Rémy, Ray Simon, Les hausses des prix de l’immobilier bénéficient elles à l’investissement productif de toutes les entreprises ?, Rue de la Banque n°69, Banque de France, 2018

[12]  Rapport du Préfet Rollon Mouchel-Blaisot, qui l’évalue à 22 000 hectares

[13]  Idem. Les ratios entre les différentes « ressources » (friches, artificialisations avec compensations et densification) sont ceux proposés dans le Rapport suscité.

[14] Ibidem

[15] Ibidem

[16] Ibidem

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