« Et ça continue, encore et encore. C’est que le début d’accord, d’accord. »
Ce pourrait être le refrain chanté par les Européens, las de voir s’alourdir, semaine après semaine, les sanctions douanières américaines.
Hier, Marine COLLI, membre FFI spécialisée dans la défense des filières agricoles, m’envoyait ce lien.
On y apprend que tous les droits de douane sur les produits industriels américains disparaissent, avec, en plus, de gros cadeaux sur les produits agricoles. Le tout en assouplissant les exigences environnementales de l’UE (déforestation, etc.) pour ne pas gêner les exportateurs américains. Bref, on va payer 15 % pour leur vendre notre vin, produit avec les contraintes éthiques les plus exigeantes du monde, mais on va laisser rentrer gratuitement tout ce qu’ils élèvent à coups d’antibiotiques, d’hormones de croissance et de produits agricoles interdits chez nous.
Jusqu’où Trump ira-t-il ? Jusqu’à ce qu’on se fasse respecter, peut-être…
Vous souvenez-vous de cette douce époque où nous défendions fièrement le modèle d’une Europe à la pointe du progrès éthique ? Quand nous répliquions à coups de « Make our planet great again » à la politique du premier mandat Trump ?
L’Amérique, à nos yeux, ne visait que l’augmentation de sa puissance au détriment des valeurs nobles que nous avions décidé de défendre ensemble.
On s’est bien moqué d’eux, de la coiffure orange de leur président, de ces idées vieillottes qui tendaient à produire, produire, produire et accumuler des richesses sans fin dans un monde fini. Les US qui reprenaient cette trajectoire après avoir adhéré aux accords de Paris nous paraissaient alors d’un anachronisme risible. Alors, les quelques voix qui s’élevaient pour dire qu’il fallait quand même préparer notre industrie au choc qui allait venir, on les a bien vite couvertes de nos cocoricos éthiques rassurants.
Il suffisait d’imposer des normes à l’entrée de l’Europe pour que Chinois comme Américains ravalent leurs déclarations climatosceptiques et s’alignent sur nos valeurs. Eh oui ! Ils veulent accumuler des richesses ? Pour cela, il faut qu’ils vendent. Or, nous sommes le plus grand marché du monde. Alors, s’ils veulent y entrer, il va falloir qu’ils nous écoutent ! Imparable, n’est-ce pas ? Sauf quand on n’a pas le courage de se servir de l’arme qu’on vient de brandir…
Car huit ans, un COVID, une guerre en Ukraine et deux élections américaines plus tard, que reste-t-il de notre morgue amusée ? Rien. Si ! Le sentiment désagréable de vivre une humiliation qui dure.
Il y a quelques semaines, Donald Trump, dont la coiffure a pâli, a roulé, du haut de son hummer motorisé au gaz de schiste, sur les technocrates apeurés que la Commission européenne lui avait envoyés pour négocier. Certains d’entre eux, comme des Bohort (conseiller de Kaamelott) face à Attila le fléau de Dieu (saison 1 épisode 5), se sont immédiatement félicités d’une négociation inespérée ! « Crachez-leur au visage, ils vous diront qu’il pleut », aurait sans doute dit Machiavel à leur endroit.
« Vous plaisantez ?!? » a répondu en chœur notre classe politique, enfin unie. Mais comment peut-on baisser pavillon si vite face à un homme aux manières si rudes ? Pourquoi ne pas avoir au moins essayé quelque chose ? Les Chinois ont répliqué, eux, au moins. Ben oui, mais les Chinois n’ont pas renoncé à développer les moyens de leur puissance.
Si les négociations avec eux sont encore en cours, si le vociférant Trump a suspendu de 6 mois ses menaces de droits de douane à plus de 100 %, c’est qu’il n’a pas vraiment le choix. Avec sa discrétion habituelle, l’Empire du milieu a fait passer le message : en cas d’application des sanctions américaines, il cessera immédiatement toute livraison de terres rares à l’Amérique. Et sans terres rares, plus une voiture, plus un ordinateur, un avion de chasse ne pourra être produit par l’industrie américaine.
Or, les Chinois raffinent aujourd’hui 94 % des terres rares du monde. Et le plus drôle (ou pas), c’est qu’il y a 30 ans, nous, Français, en étions les premiers producteurs du monde. Et on a délocalisé notre production en Chine car les contraintes écologiques de notre législation ne permettaient plus de les faire ici à un prix compétitif et dans des conditions d’acceptation correctes par notre population. (Oui, car raffiner des terres rares, c’est de la chimie lourde. Et la chimie, c’est forcément très mal).

Et c’est ça qu’on a complètement loupé. Les belles normes éthiques et tatillonnes qu’on a patiemment mises en place pour sauver la planète et notre conscience :
Ont été appliquées avec zèle sur les producteurs européens. Surtout français puisque nos lois surtranscrivent les directives européennes, histoire de montrer qu’on fait mieux que les autres.
Sont peu appliquées sur les produits fabriqués ailleurs et qui rentrent chez nous :
- Les vêtements vendus par Shein et consorts ne les respectent pas et sont peu contrôlés à l’entrée. Ils ne paient même pas la TVA. C’est ce que dit Yves JEGO ici.
- Les produits agricoles issus des Amériques Mercosur, Canada et US entrent sans problème alors qu’ils sont cultivés ou élevés avec des produits formellement interdits chez nous. Et ne me parlez pas de clauses miroir. Marine COLLI le dit très bien ici : on dit qu’elles sont appliquées, mais elles ne le sont pas !
- La fiscalité moralisatrice (bonus quand tu fais le bien, malus quand tu fais le mal) déployée pour tendre vers la vertu ne s’applique en réalité qu’aux produits européens. Écoutez ici ce que dit Olivier Lluansi sur la taxe carbone aux frontières : elle menace les producteurs européens qu’elle était censée protéger. Et elle est largement contournée par les étrangers. Son interview est là.
Bilan : nos normes étouffent, découragent, et finissent par inciter à la délocalisation, à la fermeture ou à la vente des dernières usines qui produisent encore chez nous. Ceci sans avoir le moindre effet sur l’éthique de production de nos concurrents.
Il devient donc évident, chers compatriotes, que la morale et les belles valeurs que l’Europe prétend défendre :
- Sont plus là pour donner bonne conscience à ceux qui les scandent en campant des postures flatteuses.
- Que pour régler vraiment les problèmes (bien réels, pourtant) de notre Terre.
On a cru pouvoir convaincre les méchants et les gougnafiers du monde d’embrasser nos causes en montrant l’exemple. Un peu comme ces professeurs qui pensent que le meilleur élève de la classe va inspirer les cancres.
La réalité est que nos trop hautes exigences morales se sont incarnées en un carcan de normes qui nous a affaiblis sans nous protéger. Et la réalité, celle qu’on a tous pu constater à l’école, c’est que le premier de la classe, quand c’est un avorton qui a oublié de développer sa force physique, passe un bien mauvais quart d’heure à la récré face aux brutes sans cervelles. Harcelé, c’est parfois lui qui finit par adopter les codes de ceux qui l’humilient.
Hier, Trump a annoncé que les 15 % de taxes allaient aussi concerner nos vins et que ses produits agricoles, bien moins respectueux de l’environnement que les nôtres, allaient rentrer sans contrôle chez nous.
Voilà le prix de notre renoncement à toute politique de puissance. Voilà pourquoi il est urgent de rebâtir notre souveraineté et notre puissance industrielle. Il faut remettre en cause la façon dont nous avons bâti l’Europe et virer nos techno-pleutres qui ne montrent les dents que face à nos PME européennes.