On vous avait parlé de Christian Giudicelli et de son frère Jean-Marc en avril 2024 (lire l’article ici). Les deux frères, Corses et membres FFI, venaient d’acheter Steelgo, spécialiste vendéen des charpentes métalliques. Grâce à eux, cette PME est donc restée française. Les charpentes qu’il fabrique, le groupe Giudiccelli les utilise pour fixer les Ohnneaux solaires qu’ils utilisent pour construire des centrales solaires et électrifier les parkings. Ceci fait du groupe Giudiccelli un acteur engagé dans les énergies renouvelables.
Nucléaire ou renouvelables ? Christian Giudicelli dit : les deux
Alors, quand nous avons posté, il y a quelques semaines, un extrait d’une audition parlementaire dans laquelle Louis Gallois estimait que les investissements prévus dans les ENR par la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) allaient faire exploser le coût de l’électricité française, Christian a réagi.
Il a réagi comme l’homme aimable et pondéré qu’il est. C’est-à-dire de façon courtoise et intelligente. Alors, on lui a donné un droit de réponse que voici.
Pour lui, rien ne sert d’opposer le nucléaire et les ENR. Car, dans les prochaines années, nous aurons tellement besoin d’électricité décarbonée qu’il nous faudra faire flèche de tout bois pour en produire suffisamment.
« Du fait des changements d’usage (pompes à chaleur, véhicules électriques…). Même s’il y a du retard dans les changements d’usages prévus. C’est la tendance. C’est une question de temps », prévoit Christian.
Depuis la date de son interview, j’ai observé, comme nous tous, la surenchère à laquelle se livrent plusieurs chefs d’État quant à l’accueil de data centers et d’investissements étrangers dans l’IA. (Choose France, le voyage de Trump dans le Golfe…). Quant à l’Arabie Saoudite ou les Émirats, ils envisagent des investissements colossaux chez eux ou ailleurs.
Tous ceux qui en ont les moyens investissent massivement pour occuper les premières places mondiales sur ce secteur d’avenir.
Or, si on écoute les récentes déclarations des leaders de l’intelligence artificielle, dont Sam Altman, le fondateur de ChatGPT, ou William H. Green, directeur de l’Initiative Énergie du MIT, l’une des plus grandes limites au développement de l’IA est la progression trop lente de la quantité d’électricité disponible.
Des régions comme la Virginie du Nord, a déclaré ce dernier, connaissent une telle pression sur leur réseau électrique, que les délais d’attente pour connecter de nouveaux centres de données sont montés à sept ans.
Raccordements : ce qu’on oublie souvent de dire
C’est notamment pour cela que GRDF a annoncé devoir investir une centaine de milliards d’euros. Une somme que certains avaient annoncée comme étant largement due aux coûts de raccordement des ENR.
Car ces derniers sont fonction de leur nombre. Alors, évidemment, quand on a besoin de raccorder seulement quelques dizaines de centrales pour fournir de l’électricité à toute une nation, ça fait beaucoup moins de raccordements que quand on doit connecter des milliers de sites de production d’électricité solaire ou éolienne.
« C’est vrai, dit Christian, en substance. Mais un raccordement, ça n’est pas que dans un sens. Là où on connecte une source de production au réseau, on peut aussi connecter des sources de consommation. Data center, usine ou autre. On peut donc quasiment diviser par deux le coût du raccordement attribué à l’injection d’électricité dans le réseau. »
« Quand on transforme un réseau d’un point de vue injection, on améliore aussi sa capacité de consommation. Donc l’entreprise ou la collectivité qui se met à côté d’un raccordement pourra bénéficier d’un meilleur réseau. Cela réduira considérablement les zones encore mal desservies. »
Bref, s’il n’est pas faux de dire que les frais de raccordement générés par les ENR sont supérieurs à ceux des centrales nucléaires, « ils seront bien moins coûteux que ce qui a été annoncé ».
Il n’y a donc pas de quoi, selon lui, déclencher la polémique qui a eu lieu sur le sujet.
« Malheureusement, c’est un défaut très français, a ajouté Christian Giudicelli. On a un tempérament qui fait qu’on aime se mettre dans une position extrême, en opposition. Pour beaucoup d’entre nous, être modéré, c’est ne pas être courageux. », regrette-t-il.
Or, justement, Christian est modéré. Et il parle courageusement. « On a collectivement intérêt à garder l’avantage du nucléaire. Et si l’EPR français a lui aussi fait polémique, c’est parce qu’on a perdu les compétences qui nous auraient permis de le construire aussi vite que l’ont fait les Chinois. Nous payons ici nos mauvaises décisions politiques, elles-mêmes empreintes d’idéologie. La qualité de notre parc nucléaire devrait être une fierté pour tous les Français. »
Autre élément intéressant que m’a appris Christian : la puissance et le rendement des centrales photovoltaïques progressent rapidement. Leur rentabilité aussi. Si bien que Christian estime que la baisse des subventions de l’État n’a pas de raison de stopper le développement des ENR.
D’autant que, si ce qu’il dit se confirme, c’est-à-dire qu’il faudra très rapidement augmenter nos capacités en électricité décarbonée, on ne pourra pas attendre la trop lente construction des nouveaux EPR annoncés.
« Une centrale photovoltaïque, ça sort en 2 à 3 ans seulement, rappelle-t-il. En artificialisant peu les sols, si on s’y prend bien. »
Bref, Christian ne voit pas les choses comme les pro ou les anti quelque chose. Selon lui, la France peut se targuer d’avoir un réseau électrique qui s’améliore régulièrement grâce à la contrainte des ENR, notamment. Si bien qu’elle est bien placée pour accélérer en connectant plus facilement que d’autres de nouveaux producteurs et de nouveaux consommateurs, industriels ou IA.
Et quand on lui pose la question de la souveraineté, il n’est pas si affecté que cela. Une fois que les panneaux, que son groupe achète encore majoritairement en Asie, sont livrés, plus besoin de combustible.
« Bien sûr, on sera heureux quand des projets comme Carbone auront abouti. Ils nous permettront d’acheter quasiment tout ce qui fait nos installations en France. D’autant qu’on commence aussi à savoir recycler les panneaux chez nous. Donc ce qu’on commande aux Chinois, c’est de la matière première qu’on va pouvoir recycler en local quand la filière de recyclage sera en place. On est déjà autonome sur la maintenance. »
En plus des progrès réalisés sur les panneaux eux-mêmes, ceux réalisés sur les batteries vont également grandement améliorer l’équation d’ensemble.
À écouter Christian Giudicelli, on ferait mieux de pousser tous les moyens de produire de l’électricité décarbonée. À fond. Car la question ne sera bientôt plus comment on produit l’électricité, mais si on produit assez pour les nouveaux usages annoncés.